La première saga du baseball professionnel à Montréal
Deuxième partie
La nouvelle équipe perdit sa première partie lors d’un programme double à Scranton le 17 juillet. L’arrivée du club à Montréal le 23 juillet fut marquée par une défaite contre Wilkes-Barre, ce même club que le consortium montréalais avait tenté d’acheter quelques semaines plus tôt. Le président de la Ligue, Pat Powers, de nombreux propriétaires d’équipe ainsi que plusieurs dignitaires locaux étaient sur place. L’équipe avait trouvé domicile au Parc Atwater, l’ancien terrain des Shamrocks situé coin Ste-Catherine Ouest et Atwater (là où se trouve la Place Alexis-Nihon aujourd’hui.) La totalité des joueurs de Rochester avaient été amenés à Montréal. Charles Dooley était le joueur plus populaire. Beau garçon, les jeunes filles appréciaient sa présence sur le terrain! Pas moins de dix-neuf joueurs ayant joué dans les Majeures ou qui allaient le faire dans un proche avenir faisait partie de ce personnel. Mais aucun joueur n’avait le statut de vedette et les partisans montréalais ont vite compris pourquoi l’équipe avait quitté Rochester. Lors de leur départ de la ville new-yorkaise, l’équipe possédait un dossier de 24 victoire et de 41 défaites. À Montréal, les joueurs ont fait beaucoup mieux, amassant 27 gains contre 35 revers ce qui leur a tout de même conféré l’avant-dernière position au classement. Fait à noter, à peine arrivée à Montréal, l’équipe engagea Louis Belcourt. C’était le premier Québécois à endosser l’uniforme des Royaux. Le 24 juillet 1897, près de 4000 personnes allèrent au Parc Atwater pour voir Belcourt remporter la première victoire des Royaux à Montréal. Le journal La Minerve commenta: “Son jeu brillant et sûr (il ne donna qu’un but sur ses balles) répondit à l’attente de ses admirateurs réunis en grand nombre pour applaudir à son premier succès.” Le gérant de l’équipe, George Weidman, déclara que l’on entendait beaucoup parler Français dans les gradins. Contrairement à ce que tout le monde pensait, les Francophones de la ville se rendirent donc voir les Royaux en grand nombre.
Mais plus que leurs performances sur le terrain, c’était les aventures en coulisses qui faisaient parler des Royaux. D’abord, Rowe qui avait tant fait pour amener le baseball à Montréal s’est vu évincé de la direction du club par l’un de ses collègues actionnaires, George Cameron. Aussitôt, Cameron nomma son ami George O’Neill à la direction de l’équipe. O’Neill était un restaurateur montréalais mieux connu pour être le frère de Tip O’Neill, le fameux joueur de baseball canadien des années 1880. La première action de Cameron et O’Neill fut de congédier le gérant Weidman, à la barre de l’équipe depuis le début de la saison à Rochester, pour le remplacer par Dooley. Cameron ayant maintenant les coudés franches tant dans les bureaux que sur le terrain décida de s’attaquer aux propriétaires minoritaires, le “Big Three” de Rochester.
L’entente conclue en juillet avec Rochester prévoyait le rachat complet de l’équipe en deux ans par le groupe montréalais au coût de $5,000. À défaut de respecter cette exigence, le club retournerait alors à Rochester. Cameron trouvait le prix d’achat négocié par Rowe beaucoup trop élevé et voulait renégocier les termes de la vente. Sachant cela, le “Big Three” déclara vouloir rapatrier le club chez-eux à la fin de la saison 1897. Cameron offrait $3,000 au “Big Three” ce que ce dernier trouvaient insuffisant. D’interminables négociations furent entreprise tout au long de la saison 1898 mais l’impasse persistait. Le leadership du président Powers était maintenant remis en question puisqu’il semblait être incapable régler le différent qui animait les deux groupes. Le problème avait également eu des répercussions sur les autres clubs. Ne sachant pas où l’équipe allait jouer, on avait forgé un calendrier de justesse pour le début de la saison.
La saison 1898 en fut une de rêve sur le terrain pour les Royaux. Avec sensiblement les mêmes effectifs que la saison précédente mais dorénavant admirablement dirigé par Dooley, le club remporta le championnat de la Ligue. Ce ne fit qu’envenimer les négociations qui étaient en cours. O’Neill, maintenant devenu président du club à la place de Cameron, voulait conserver son équipe championne dans la métropole alors que les gens de Rochester, flairant les bons profits, voulaient encore plus la reprendre. En novembre 1898, le “Big Three” engagea les services de l’ancien lanceur vedette des Giants de New-York John Montgomery Ward pour le représenter auprès des instances de la Ligue. Ward était maintenant à la retraite et avait troqué le gant de baseball pour la toge d’avocat. Pour lui, la concession revenait de plein droit à Rochester puisque les Montréalais s’étaient montrés coupables de bris de contrat. La Ligue, jusqu’à ce moment passive, finit par prendre partie pour Montréal au début de 1899. Ses dirigeants déclarèrent que les Montréalais étaient les véritables détenteurs de la concession. Le président Powers affirmait ainsi son leadership pour mieux le conserver!
Question de faire un pied de nez au “Big Three”, on leur retira l’exclusivité d’opérer un club de la Ligue à Rochester pour le donner à un autre groupe. Le fait qu’il avait été sous investigation pour fraude y a peut-être été pour quelque chose. La justice de Rochester les soupçonnait d’avoir délibérément mis le feu au stade de baseball pour se débarrasser plus rapidement de leur équipe moribonde. Les tractations effectuées en coulisse par O’Neill ont également été efficaces. La saison 1899 s’ouvrit donc avec les Royaux à Montréal et une nouvelle équipe à Rochester. En dernier recours, le “Big Three” menaça d’amener l’affaire en justice aux États-Unis et à Montréal mais O’Neill avec le soutien des autres propriétaires leur répondit simplement: “Poursuivez-nous”! Il tentèrent de le faire mais “des technicalités juridiques” firent en sorte que les Royaux demeurèrent à Montréal jusqu’en 1902. Cette année-là, la ligue décida de déménager la concession à Baltimore, les coûts de transports entre Montréal et les autres villes de la Ligue étant devenus trop élevés. Conséquent jusqu’au bout, le “Big Three” réclama sa part du gâteau aux nouveaux propriétaires à Baltimore, n’ayant jamais été payé par les Montréalais…