La Ligue internationale de l’est
Deuxième partie
N’empêche que plusieurs croyaient qu’il était temps que Montréal se batte à armes égales avec les clubs américains. Ainsi, durant la saison morte, Théotime Lanctôt, restaurateur montréalais bien connu et directeur du club du National, avait commencé à faire circuler l’idée d’une équipe entièrement professionnelle pour la métropole. Le projet fait si bien son chemin qu’à la réunion des délégués de la Ligue, au début de mars 1896, on annonce que Lanctôt obtenait bel et bien un club dans la Ligue et que contrairement à celui du National, en 1895, celui-ci serait entièrement professionnel. Saint Albans et Plattsburgh demeurent au sein du circuit, mais s’ajoute aussi la ville de Malone dans l’état de New-York et trois autres villes québécoises, Farnham, Saint-Hyacinthe et Hull. Les délégués songent également à inclure une quatrième ville américaine pour faire contrepoids aux quatre villes québécoises. Ogdensburg et Watertown, deux villes de la région des Milles-Îles de l’état de New-York, laissent passer l’offre. Le circuit comprendrait donc sept clubs qui joueraient 24 parties, quatre contre chacun de ses adversaires. Grands absents à la réunion, les délégués du National qui, à la demande de Lanctôt, ne sont pas invités puisqu’il désire obtenir l’exclusivité du territoire montréalais. À cet effet, il fait adopter un nouveau règlement voulant qu’une ville ne puisse avoir qu’un seul club dans le circuit. Avec l’assentiment des autres clubs, le National se voit donc écarté des cadres de la Ligue internationale de l’est en 1896.
La saison s’ouvre à Montréal le 23 mai. La nouvelle équipe professionnelle de la métropole subit une défaite de 21 à 18 contre le club de Plattsburgh. La même journée, Farnham remporte une victoire à domicile contre Saint Albans. Le lendemain, Saint-Hyacinthe commence sa saison du bon pied en l’emportant à Plattsburgh alors que Hull visite Saint Albans et inflige une défaite au club local. De tous les clubs québécois, seul Montréal ne gagne pas son match inaugural. Et avec raison. L’équipe montréalaise est composée d’éléments disparates, des vétérans inconnus des ligues mineures américaines et des jeunes joueurs venus d’Ontario, mais aucun talent local ne figure dans l’alignement. La direction du club est aussi inexpérimentée.
À l’opposé, Farnham a comme gérant Jos. Page, un ancien du National qui s’entoure d’une équipe solide de joueurs semi-professionnels. Même chose à Saint-Hyacinthe où l’on engage Eugene Casey, un jeune lanceur du Maine en plus de recourir à de nombreux joueurs locaux éprouvés comme à Farnham. Le club de Hull est plus téméraire et engage un vétéran aguerri de la Ligue Eastern, Henry Fournier, un Franco-américain de l’état de New York qui avait joué pour Cincinnati en 1894. Le club de Saint Albans, quant à lui, conserve la plupart de ses effectifs de la saison précédente alors que Malone créé à son tour un club de toute pièce en alignant des joueurs locaux et des étudiants des universités de la Nouvelle-Angleterre. Plattsburgh ne lésine toutefois pas sur les moyens. L’équipe se compose encore une fois de quelques joueurs locaux et d’étudiants, mais on engage trois joueurs d’impact issus de l’université Holy Cross dans le Massachusetts. Ces joueurs allaient évoluer dans le baseball majeur par la suite : le lanceur John Pappalau, le receveur Michael « Doc » Powers et le voltigeur amérindien Louis Sockalexis. L’aisance avec laquelle les clubs recrutent des joueurs des ligues mineures en 1896 démontre comment la Ligue avait acquis une bonne réputation dans le monde du baseball. De petite ligue locale en 1895, elle était maintenant devenue une ligue de calibre mineur digne de ce nom.
Et la Ligue internationale de l’est avait les mêmes problèmes que les autres ligues mineures. Parmi ceux-ci, des problèmes financiers avant tout causés par les salaires élevés consentis aux joueurs et aux piètres assistances lors des parties locales. Farnham est la première équipe à plier bagage le 27 juin. L’équipe avait alors un dossier de deux victoires et sept défaites. Saint-Hyacinthe l’imite quelques jours plus tard alors qu’elle n’avait remporté que deux de ses huit parties. Ces deux équipes croupissaient dans les bas-fonds de la ligue malgré leur bon début de saison. Troisième victime, les professionnels montréalais qui avaient maintenu une fiche de 6-7 mais le National, furieux d’avoir été évincé de la Ligue, avait monté dans les journaux une virulente campagne de publicité négative envers leurs rivaux. La Presse, le quotidien qui offrait les meilleures nouvelles côté baseball à l’époque et ami loyal du National, avait cessé sa couverture du club ne laissant que les journaux anglophones dans les parages de l’équipe. La formation était dès lors perçue comme anglophone, s’aliénant ainsi les nombreux francophones qui avaient découvert et apprécié le baseball avec le National la saison précédente. Trop d’obstacles entravaient sa route, le club s’est donc résigné à cesser ses activités le 8 août. Ne restait donc qu’un club québécois dans la ligue, Hull. Il termine la saison avec trois victoires et six défaites en annulant systématiquement toutes ses parties à l’étranger à partir du mois de juillet pour économiser le plus d’argent possible. Le club termine même la saison en troisième position devant Saint Albans qui avait le même nombre de victoires que lui, mais deux défaites de plus.
Le championnat de la saison se joue ainsi entre les deux clubs de l’état de New York. Les deux équipes avaient été constantes tout au long de la saison, mais Plattsburgh avait gagné plus de parties contre les clubs qui avaient quitté la ligue en cours de route. À la fin, l’équipe argumente que ces parties devaient compter au classement. Le club de Malone est d’avis contraire puisqu’il dominait le classement en oubliant les parties contre les clubs défunts. C’était d’ailleurs la manière de faire dans les autres ligues mineures. Malone termine avec une fiche de 8-4 alors que Plattsburgh finit la saison avec un dossier de 7-3. La Overman Wheel Company, fabriquant d’articles de sport et fournisseur officiel de la ligue allait finalement trancher en faveur de Malone et de sa victoire en plus en lui offrant une magnifique bannière, symbole de la suprématie de la ligue. Malone était champion.
La ligue avait vu grand en 1896 en s’éparpillant aux quatre coins du Québec et elle en a souffert. Elle s’éteignit à la fin de la saison pour ne jamais plus revivre. Elle avait toutefois mis en branle de belles choses. Elle avait, par l’entremise du National, aidé à populariser de manière définitive le baseball parmi les francophones de Montréal. Elle les avait aussi intégrés au monde du baseball organisé américain qui lui, vint installer à Montréal une équipe de la Ligue Eastern en juillet 1897, les futurs Royaux. En 1898, fiers de l’expérience acquise en 1895 et 1896, quelques sportifs mirent sur pied une ligue totalement francophone et québécoise, la Ligue provinciale. Et l’expérience a été tout aussi enrichissante au sud de la frontière puisque qu’en 1901, la partie américaine de la Ligue internationale de l’est allait revivre pour plusieurs années encore en tant que Ligue Northern.